SYRIE: ABED AZRIÉ, L’Evangile selon Jean, Doumtak (2CD+DVD)

“Jésus, dieu et homme, est issu des croyances de la fertilité suméro-babylonienne, cananéenne ou phénicienne. Avec sa vie, sa mort et sa résurrection, il reprend un thème très ancien et enchaîne une mythologie déjà millénaire qui concerne tout le bassin méditerranéen et fait partie du fonds commun des grandes cultures populaires”: c’est avec cette justification historique que Abed Azrié présente sa dernière création, oratorio en arabe classique d’après l’Evangile selon Saint Jean. Abed Azrié, qui est né à Alep et vit en France depuis 1967, ne cesse de rendre hommage, au fil de ses disques, aux grandes traditions spirituelles de la région où il est né et où il a grandi, et où se mêlent toutes les croyances. Son disque “Mystic” mettait ainsi en musique les textes des grands mystiques musulmans (Al Hallaj, Ibn Arabi, etc.). “L’épopée de Gilgamesh” redonnait vie à ce récit mythique concernant la vie de Gilgamesh, ce roi de la Mésopotamie antique qui aurait régné vers 2700 av. J.C., aurait accompli des prodiges, et serait le descendant d’une divinité.
         L’on sait aujourd’hui que la religion chrétienne, née il y a 2.000 ans, a repris et réactualisé des mythes et thèmes déjà présents dans les religions et croyances de cette région de la Méditerranée: ainsi du thème de la résurrection, ou de la fête de Noël, qui reprend une fête païenne située au coeur de l’hiver (voir Roger Arnaldez, “Un seul Dieu”, in Fernand Braudel et Georges Duby, La Méditerranée – Les hommes et l’héritage, Flammarion, 1986).
         Pour “L’Evangile selon Jean”, Abed Azrié a réuni un orchestre oriental (‘oud, alto, percussions,…) et un orchestre occidental (violon, violoncelle, contrebasse, et même accordéon), cependant que le chant, des solistes comme des choeurs, est en arabe classique, langue dans laquelle est lu l’Evangile dans les liturgies chrétiennes d’Orient.

“Au commencement était la parole
Et la parole était auprès de Dieu

Et la parole était Dieu
Elle était au commencement auprès de Dieu

Tout a existé par elle
Et sans elle, rien n’a existé”.

          Ainsi s’ouvre l’oratorio (“Fi el bod’ kan el kalima…”), et dans le texte, le mot arabe “Kalima”, qui veut dire “parole” et fait partie du vocabulaire arabe parlé courant, sonne bien mieux que le pompeux “Au commencement était le Verbe”, formule ésotérique pour le commun des mortels… Et en ces temps de fanatisme religieux dans la région – et Abed Azrié explique aussi sa démarche oecuménique par sa volonté de lutter contre ce fléau qui contredit des siècles d’une histoire multiculturelle dans sa région – rappeler que la parole était “auprès de Dieu”, et non confisquée par certains, n’est pas innocent…

         Voilà donc une oeuvre originale, que les non-arabophones auront plaisir à écouter aidés du DVD, qui traduit les voix chantées en arabe. Pour la musique, Abed Azrié est aussi éloigné des chants liturgiques chrétiens que de la tradition chantée musulmane, ou encore que des oratorios de Jean-Sébastien Bach. Il a su créer une musique qui semble parfois comme surgie des âges, primitive parfois, plus élaborée là, et où la douceur, la frayeur, le partage, le message, se font entendre, au-delà des mots, par la seule musique, et le chant des voix. Saluons au passage les solistes et le choeur du conservatoire de Damas, et notamment les voix très pures et expressives de Linda Bitar, Manal Samaan, Hala al-Sabbagh, Inas Iattouf, qui tiennent le rôle de l’Evangéliste. Le DVD reprend le spectacle créé à Damas le 27 mai 2009, sous la direction d’Alain Joutard, car Abed Azrié chante dans son oratorio: il tient la voix de Jésus.
www.abedazrie.com

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